Imaginez un type de contaminant alimentaire qui opère dans l'ombre, souvent méconnu du grand public, mais redoutablement efficace pour compromettre la sécurité alimentaire.
Sommaire :
1) Définition et origine des mycotoxines
2) Quels sont les mycotoxines les plus courantes dans les aliments ?
Quelles techniques pour l'analyse des mycotoxines ?
Quelles normes pour les toxines règlementées ?
Quelles mycotoxines sont quantifiables ?
4) Le défi de l'échantillonnage pour analyse des mycotoxines
5) Incidents graves et cas notables attribués aux mycotoxines
Bien qu'elles ne fassent pas les "gros titres" comme d'autres dangers alimentaires, elles peuvent affecter une large gamme de produits, des céréales aux produits laitiers, en passant par les fruits et les épices. Selon certaines estimations, il existe plusieurs centaines de mycotoxines connues (certains avancent des chiffres supérieurs à 1 000).
Des études récentes montrent que les changements climatiques pourraient augmenter la prévalence des mycotoxines dans certaines régions du monde.
De quoi sans doute revoir les plans de contrôle ?
Les mycotoxines sont des métabolites secondaires (exotoxines) produits par certaines moisissures, essentiellement par Aspergillus, Fusarium et Penicillium. Ces substances peuvent être extrêmement toxiques (ex : aflatoxines) pour les humains et les animaux lorsqu'elles sont ingérées, inhalées ou même simplement en contact avec la peau.
Les mycotoxines peuvent être naturellement présentes dans de très nombreux produits d'origine végétale tels que les céréales, les noix, les épices, mais aussi les fruits et les légumes. La contamination est liée aux développement des moisissures lorsque les conditions sont favorables (humidité, chaleur, CO2), elle a lieu aussi bien dans les cultures que lors du stockage des récoltes ou des matières.
Elles peuvent également entrer dans la chaine alimentaire en contaminant les aliments pour animaux, ce qui pose un risque indirect pour l'alimentation humaine car elles peuvent s'accumuler dans des produits d'origine animale comme le lait ou la viande. Contrairement à la plupart des bactéries, levures et moisissures, les mycotoxines sont thermostables, elles résistent très bien aux méthodes de cuisson et de stérilisation traditionnelles.
Les effets sur la santé humaine et animale sont nombreux :
Ils vont de l'empoisonnement aigu à des effets à long terme comme l'immunodéficience et le cancer. Certaines mycotoxines comme l'aflatoxine B1 par exemple, sont classées comme cancérogènes pour l'homme ou cancérogènes possibles (aflatoxine M1) d'autres présentes une très forte toxicité hépatique (hepatite, cirrhose), rénale, neurologique, immunologique ou endocrine.
En Europe, l'exposition humaine à des doses élevées de mycotoxines est rare, mais elle doit rester une préoccupation majeure dans l'alimentation humaine et animale, notamment à cause des changements climatiques (Caloni, F. (2022). Climate Change and Effects on Molds and Mycotoxins)
Le risque le plus grave pour l'homme provient de l'imprégnation alimentaire chronique et insidieuse à de faibles niveaux d'exposition.
Parmi les mycotoxines les plus fréquentes figurent les aflatoxines, générées par les moisissures Aspergillus flavus et Aspergillus parasiticus. Ces toxines se retrouvent couramment dans les céréales telles que le maïs et le blé, ainsi que dans les fruits secs et les épices. L'aflatoxine M1, un métabolite de l'aflatoxine B1, est régulièrement détectée dans le lait et les produits laitiers. L'ochratoxine A constitue une autre mycotoxine répandue, synthétisée par diverses espèces d'Aspergillus et de Penicillium, et elle se manifeste fréquemment dans les céréales et les grains de café. La patuline se trouve habituellement dans les pommes et les dérivés de ce fruit. Les fumonisines et la zéaralénone, générées également par les champignons Fusarium, sont souvent liées à diverses céréales. En sus de celles-ci, on recense le nivalénol et le déoxynivalénol, également engendrés par les champignons Fusarium, qui sont souvent liés au blé et à l'orge. La T-2 et le HT-2 sont des toxines trichothécènes fabriquées par Fusarium et peuvent être repérées dans l'avoine. La citrinine, une autre mycotoxine produite par Penicillium, est fréquemment constatée dans les grains entreposés et les produits laitiers. La sterigmatocystin, issu d'Aspergillus versicolor et d'autres espèces d'Aspergillus, est souvent associé aux grains et aux produits céréaliers. Enfin, l'ergotamine, produite par le champignon Claviceps purpurea, se retrouve fréquemment dans le seigle et d'autres céréales.
Les mycotoxines ont donné lieu à 485 notifications (+10%) dans l'union Européenne en 2022. C 'est le troisième danger notifié dans l'union derrière les pesticides et les pathogènes, les aflatoxines représentent 85% des cas.
Rapport annuel Alert and Cooperation Network - 2023
Il existe beaucoup de méthodes normalisées pour la quantification des mycotoxines dans divers types de matrices, en alimentation humaine et animale. Beaucoup de laboratoires appliquent les normes en vigueur lorsqu'elles sont disponibles, ils utilisent aussi des méthodes internes adaptées et parfois accréditées pour certaines matrices.
D'autres laboratoires ont développé et intègrent maintenant des screening multiples pour détecter et quantifier sur un seul "run" un nombre important de mycotoxines, les plus connues, les règlementées, et les mycotoxines dites "émergeantes" qui sont maintenant détectables, quantifiables mais pour lesquelles il n'existe pas encore de seuils règlementaires.
Les techniques comme ELISA sont peu chères, rapides mais moins précises, elles sont parfois utilisables facilement en routine pour faire de premières évaluations ou "filtrages". Aujourd’hui les techniques les plus utilisées et très souvent sous-traitées, reposent surtout sur la chromatographie haute performance comme GC-LC-Fluo, GC-LC-MS ou LC-MS/MS, ces techniques offrent une très grande sensibilité et une séparation efficace des composés.
Voici quelques exemples de normes utilisées pour les analyses de mycotoxines les plus courantes et règlementées (EC N° 915/2023)
Mycotoxines |
Moisissures productrices | Matrices concernées | Exemples de normes |
---|---|---|---|
Aflatoxines | Aspergillus flavus, A. parasiticus | Céréales, fruits à coque, produits dérivés | NF EN ISO 16050 |
Ochratoxine A | Aspergillus ochraceus, Penicillium verrucosum | Produits alimentaires, à l'exception des aliments pour nourrissons et jeunes enfants | NF EN 17279 |
Zéaralénone | Fusarium spp. | Produits alimentaires, à l'exception des aliments pour nourrissons et jeunes enfants | NF EN 17279 |
Fumonisines | Fusarium verticillioides, F. proliferatum | Produits alimentaires, à l'exception des aliments pour nourrissons et jeunes enfants | NF EN 17279 |
Trichothécènes A et B | Fusarium spp., Myrothecium, Trichoderma, Cephalosporium | Céréales et produits céréaliers | NF EN 17280 |
Patuline | Penicillium expansum | Pommes, jus de pomme |
NF EN 14177 |
Citrinine | Penicillium citrinum | céréales, levure de riz rouge (LRR) ], herbes aromatiques compléments alimentaires | NF EN 17023 |
Ergotamine | Claviceps purpurea | Céréales et produits céréaliers | NF EN 17425 |
Les mycotoxines ci dessous, bien que pas toutes règlementées, sont néanmoins quantifiables dans quelques laboratoires sous-traitants spécialisés, souvent en "multiméthode" et en LC-MS/MS.
Famille de Mycotoxines | Mycotoxines | Espèces productrices |
Aflatoxines | Aflatoxine B1, Aflatoxine B2, Aflatoxine G1, Aflatoxine G2, Aflatoxine M1 | Aspergillus |
Alcaloïdes de l’ergot | Ergocornine, Ergocristine, Ergocryptine, Ergométrine, Ergosine, Ergotamine, etc. | Claviceps |
Autres mycotoxines d'aspergillus et penicillium | Citrinine, Patuline, Acide cyclopiazonique, Stérigmatocystine, Roquefortine C | Aspergillus et Penicillium |
Autres mycotoxines de fusarium | Moniliformine, Beauvericine | Fusarium |
Enniatines | Enniatine A, Enniatin A1, Enniatine B, Enniatine B1 | - |
Fumonisines | Fumonisine B1, Fumonisine B2, Fumonisine B3 | Fusarium |
Ochratoxines | Ochratoxine A, Ochratoxine B, Ochratoxine alpha | Aspergillus et Penicillium |
Toxines d’alternaria | Acide ténuazonique, Alternariol, Altenuene, Alternariol methyl ether, Tentoxin, Altertoxin I | Alternaria |
Toxines trémorgènes | Verruculogen | Aspergillus et Penicillium |
Trichothécènes type A | T-2 toxin, HT-2, T-2 tétraol, T-2 triol, DAS, MAS, Néosolaniol | Fusarium |
Trichothécènes type B | DON, Deoxynivalenol-3-glucoside, DOM-1, Nivalénol, Fusarénone X, 15 ac DON, 3 ac DON | Fusarium |
Zéaralénone et métabolites | Zéaralénone, Zéaralanol alpha, Zéaralanol béta, Zéaralénol alpha, Zéaralénol béta | Fusarium |
Dans l'union Européenne, les limites pour les mycotoxines dans l'alimentation humaine sont fixées par le Règlement (CE) N° 915/2023. Il s'applique à une variété très importante de produits, les teneurs maximales autorisées peuvent beaucoup varier en fonction des matrices. Les Mycotoxines font l'objet d'évaluation permanentes (EFSA) au regard des seuils toxicologiques, de l'exposition de la population et de la capacité à quantifier de nouvelles mycotoxines (émergeantes).
Plusieurs mycotoxine dites "émergeantes" sont sous la surveillance et le monitoring de l'EFSA, certaines comme Alternaria font l'objet de recommandations mais ne sont pas encore a proprement parlé "règlementées"
L'échantillonnage des produits agroalimentaires pour détecter la présence de mycotoxines présente à lui-seul un enjeu en raison de la distribution hétérogène des mycotoxines. Pour garantir une évaluation précise et fiable, il est essentiel de suivre des protocoles d'échantillonnage appropriés. Voici quelques lignes directrices à prendre en compte :
Alimentation humaine : Règlement CE n° 401/2006 portant fixation des modes de prélèvement d'échantillons et des méthodes d'analyse pour le contrôle officiel des teneurs en mycotoxines des denrées alimentaires.
Alimentation animale : Règlement (CE) n° 152/2009 portant fixation des méthodes d'échantillonnage et d'analyse destinées au contrôle officiel des aliments pour animaux.
La norme NF EN ISO 24333 : 2009 sur l'échantillonnage des céréales peut servir de guide précieux pour les professionnels de l'industrie alimentaire. Cette norme fournit des recommandations spécifiques sur les méthodes d'échantillonnage des céréales, qui sont souvent les plus exposées à la contamination par les mycotoxines.
Prélèvement multiples : Il est fortement recommandé de prélever plusieurs échantillons à partir de différents endroits du lot. Cela permet de tenir compte de la variabilité de la distribution des mycotoxines dans le produit agroalimentaire. En prélevant des échantillons à différents endroits, vous augmentez vos chances de détecter la présence des mycotoxines même si elles sont réparties de manière inégale dans le lot.
Volume suffisant : Pour les échantillons de céréales par exemple, il est conseillé de prélever un volume d'échantillon d'au moins 1 kg. Cette quantité est jugée adéquate pour obtenir des résultats d'analyse précis.
Une évaluation précise de la contamination par les mycotoxines est essentielle pour garantir la sécurité alimentaire des produits, En suivant ces protocoles d'échantillonnage rigoureux, les professionnels de l'industrie alimentaire peuvent améliorer la précision de leurs analyses de mycotoxines.
Épidémie d'Aflatoxicose au Kenya (2004) : Plus de 100 personnes sont mortes et des centaines d'autres ont été hospitalisées après avoir consommé du maïs contaminé par des aflatoxines.
Aflatoxicose au Kenya (2010) : Une épidémie d'aflatoxicose a été signalée au Kenya, affectant plusieurs personnes et entraînant des hospitalisations. La contamination était due à la consommation de maïs contaminé par des aflatoxines.
Épidémie de Citrinine en Chine (1972) : Des centaines de personnes ont été affectées par la consommation de riz contaminé par la citrinine, une mycotoxine produite par des moisissures du genre Penicillium.
Contamination de lait en Chine (2012) : Des traces de l'aflatoxine M1 ont été trouvées dans des échantillons de lait commercialisés en Chine, ce qui a conduit à un rappel massif de produits laitiers.